dimanche 31 août 2014

4195 - Ci-git Reinhard Heydrich

... Cimetière des Invalides, 9 juin 1942

Mené par un Heinrich Himmler marchant au pas de l'oie, et salué par des milliers de bras tendus, le cortège funèbre arpente alors pour la dernière fois les rues de la capitale du Reich en direction du Cimetière des Invalides, ultime lieu de repos du nouveau héros et martyr de la Grande Allemagne.

Là, après un dernier rituel ponctué de force saluts nazis, il est enfin mis en terre.

Ci-git Reinhard Heydrich, grand patron du RSHA et Reichsprotektor adjoint de Bohème-Moravie, décédé à Prague des suites d'un attentat, le 4 juin 1942, à l'âge de 38 ans.

Sa tombe n'est marquée que d'une simple croix en bois, laquelle contraste singulièrement avec l'ampleur historique du personnage, et celle de ses funérailles.

Hitler et Himmler ont cependant prévu qu'un jour, une fois la Victoire finale obtenue, on réinstalle le cercueil dans un nouveau et bien entendu gigantesque mausolée, dont on confiera sans doute la réalisation à Albert Speer.

Ce même Albert Speer qui, à Prague, en décembre 1941, devisait sereinement avec lui de la meilleure manière de "germaniser" la capitale tchèque...

samedi 30 août 2014

4194 - "Il est mort en martyr pour la protection et la préservation du Reich".

... Après Himmler, c'est au tour d'Hitler de prendre la parole.
"Heydrich", déclare le Führer, "était un des meilleurs nationaux-socialistes, un des plus solides défenseurs du Reich allemand (...) Il est mort en martyr pour la protection et la préservation du Reich".

Visiblement très ému, Hitler confère alors au défunt la plus haute distinction militaire allemande, puis quitte la salle, caressant aux passages les joues des deux aînés d'Heydrich - qui lui font le salut nazi - et les assurant au passage de son total soutien.

Mais si Hitler est ouvertement bouleversé par le décès d'Heydrich-le-héros-assassiné-par-des-terroristes, il n'en fustige pas moins, en privé, Heydrich-l'inconscient-mort-par-sa-propre-faute

"Des gestes héroïques comme se déplacer dans une voiture ouverte sont", dira-t-il, "des folies dont la Nation n'avait pas besoin. Les hommes de la stature politique d'Heydrich devraient avoir conscience qu'on les guette comme du gibier et que d'innombrables personnes n'ont qu'une idée en tête : comment les tuer ?"

Les discours terminés, et sous les regards impassibles du Porte-Flambeau et du Porte-Glaive, les deux monumentales statues d’Arno Breker qui, depuis 1938, montent la garde face à la Cour d’Honneur de la Chancellerie, le cercueil est rechargé, pour la dernière fois, sur un affut d’artillerie, qui prend la direction du Cimetière des Invalides, un des plus vieux de Berlin, où sont enterrés quantités de militaires célèbres parmi lesquels plusieurs aviateurs comme Manfred von Richtoffen, Ernst Udet ou Walther Mölders,… auxquels Heydrich-le-romantique aurait tant voulu ressembler.

vendredi 29 août 2014

4193 - "le meilleur d'entre nous"

… et de mise en scène, c’est bien de cela qu’il est question aujourd’hui puisque le cercueil, une nouvelle fois déchargé de son affut, se voit exposé une fois de plus aux regards des visiteurs accourus - volontairement ou non - en grand nombre.

Dans la Salle des Mosaïques, au son du Götterdämmerung, le Crépuscule des Dieux de Richard Wagner - tout un symbole - défile donc tout le gratin de l’Allemagne nazie dont beaucoup, faut-il le dire, jalousaient ou haïssaient cordialement le défunt grand patron du RSHA, peut-être parce que celui-ci, s’il faut en croire la rumeur, possédait un dossier fort complet et rempli de détails croustillants sur chacun d’entre eux…

Viennent alors les discours d’hommages, dont le premier est naturellement prononcé par Heinrich Himmler en personne.

Heydrich, déclare Himmler, était "le meilleur d’entre nous", un "idéal à toujours imiter mais qui ne sera peut-être jamais plus atteint", un homme au caractère "noble et honnête", menant une vie "simple, saine et disciplinée".

C’était aussi, dit Himmler, "un homme craint par les sous-humains, haï et diffamé par les Juifs et autres criminels (…) Quelles que soient les mesures et actions qu’il prenait, il les prenait toujours en tant que SS et en tant que National-Socialiste. Du plus profond de son coeur et de son sang, il sentait, comprenait et réalisait la vision d’Adolf Hitler. Il s’emparait de toutes les tâches dont il était chargé avec la compréhension fondamentale d’un point de vue authentiquement racial et avec la conviction que la pureté, la sécurité et la défense de notre sang constituent la loi suprême" (1)

(1) cité par Gerwarth, op cit. page 278

jeudi 28 août 2014

4192 - l'Art de la mise en scène

... Berlin, Nouvelle Chancellerie du Reich, 9 juin 1942

Dans la grande salle de conférence du siège central de la Gestapo, devant le cercueil constamment gardé par d’impressionnants SS casqués et sabre au clair, défilent naturellement tous les employés et cadres de cette institution dont Heydrich a fait le symbole-même de la terreur hitlérienne.

Comme la présence de l'ensemble du personnel, le salut nazi est obligatoire en la circonstance, et par ailleurs exécuté avec la force et la précision que confère une longue habitude.

Quant à savoir s’il est sincère…

Au matin du 9 juin, le cercueil, drapé des inévitables deux lettres blanches sur fond noir, est une fois de plus hissé sur un affut d’artillerie, pour une nouvelle et grandiose procession dans les rues de la ville, laquelle le mène cette fois à la Neue Reichskanzlei, cette Nouvelle Chancellerie du Reich due à Albert Speer, avec sa galerie de 145 mètres de long - le double de la Galerie des Glaces de Versailles - conçue pour écraser le visiteur avant qu’il n’accède au monumental bureau du Maître et mégalomane de céans, et avec son sol de marbre poli et exagérément lustré afin, comme l’avait exigé Hitler, que le dignitaire étranger venu le rencontrer se sache dès le départ "en terrain glissant"

Le Troisième Reich, c’est d’abord et avant tout l’Art de la mise en scène…

mercredi 27 août 2014

4191 - Berlin, Gare d’Anhalt

… Berlin, Gare d’Anhalt, 8 juin 1942, 12h00

C’est le lendemain, vers 12h00, que le train spécial transportant le cercueil d’Heydrich arrive finalement à Berlin, Gare d’Anhalt, pour y être accueilli par une impressionnante garde d’honneur, laquelle, avec une lenteur encore plus consommée qu’à Prague, lui fait traverser les rues de la capitale du Reich sous les regards d’une foule encore plus impressionnante de spectateurs.

Mais comme à Prague, impossible en vérité de dire qui est là par sympathie envers le défunt, ou amour pour le national-socialisme, de qui s’y trouve par simple curiosité ou alors crainte de mal paraître, voire même d’être dénoncé par ses voisins, s’il n’y est pas…

Au passage du cercueil, chacun, en ce compris les enfants, tend bien sûr le bras pour un salut nazi tant de fois répété dans tant d’occasions différentes qu’il faut y voir bien plus un pur automatisme qu’une véritable marque de ferveur et d’adhésion personnelle au nazisme : avant 1933 et l’arrivée d’Hitler au Pouvoir, Berlin n’était-elle pas plus rouge que brune…

Par les rues bondées, le convoi atteint finalement sa destination de la journée : la grande salle de conférence du 8, Prinz Albrecht Strasse, autrement dit le siège central de la Gestapo.

Cette Gestapo dont Heydrich avait hérité en 1934 pour en faire un instrument de répression et de terreur bientôt connu dans toute l’Europe…

mardi 26 août 2014

4190 - les trente statues du Karlův mos

… de la colline de Hradčany, le cortège funèbre entreprend la traversée de la Malá Strana, le "petit côté", refuge des artisans et commerçants allemands depuis le Saint-Empire romain germanique.

De là, il franchit la Vltava par le célèbre Karlův mos, le Pont Charles, qui date du 14ème siècle et dont les trente statues de pierre, impassibles, dominent la garde d’honneur de policiers et de militaires rameutés des quatre coins de la Bohème-Moravie pour un ultime hommage à leur ancien chef.

Ce chef qu’ils se sont tous promis de venger en retrouvant ses meurtriers, puis en les châtiant avec la plus extrême brutalité en compagnie de leurs complices...

Mais en attendant ce jour, ils contemplent le charroi, mais aussi les dizaines de tambours, trombones, et trompettistes qui le précèdent, ainsi que les centaines de dignitaires en grand uniforme qui le suivent.

Débute alors la lente traversée de la vieille ville en direction de la Praha hlavní nádraží, la Gare centrale, avec son monumental hall Art Nouveau, construit au début du siècle par Josef Fanta, à qui l’on doit également le Monument de la Paix, commémorant cette autre boucherie que fut la Bataille d’Austerlitz.

Mais en ce 7 juin 1942, au moment où le cercueil d’Heydrich est enfin chargé dans le train spécial qui doit l’amener à Berlin, la Paix, cette Paix à laquelle tous les Tchèques aspirent, paraît plus loin que jamais…

lundi 25 août 2014

4189 - la chorégraphie

… l’exposition de la dépouille de Reinhard Heydrich au Château de Prague n’est cependant que la première étape d’une somptueuse chorégraphie mise en scène par nul autre que le Ministre de la Propagande Joseph Goebbels.

Ce même Joseph Goebbels qui, le 2 juin, écrivait que la mort d’Heydrich constituerait un "désastre"...

Le désastre à présent consommé, Goebbels s’est juré d’en faire un spectacle à grande échelle, destiné à propulser Heydrich au Panthéon des héros, mais aussi des martyrs, de la Nouvelle Allemagne.

Un héros sans peur, et un martyr sans reproche, dont tous les enfants du Reich se devront bien sûr d’apprendre la vie et les exploits pour s’en inspirer, plus tard

Lorsqu’ils seront grands et en âge de porter à leur tour l’uniforme...

Le 7 juin 1942, devant les deux aînés (1) du défunt Reichsprotektor, devant celui qui fut tout à la fois son employeur, son mentor, son ami et son rival, Heinrich Himmler lui-même, devant le ban et l’arrière-ban de la Bohème-Moravie nazie, mais aussi devant des dizaines de milliers de curieux qui ne rateraient pareille occasion pour rien au monde, le cercueil d’Heydrich est rechargé sur un affut d’artillerie qui, avec une lenteur consommée, entreprend de descendre la colline de Hradčany en direction de la vieille ville…

Reinhard Heydrich, le grand patron du RSHA,  le "bourreau d'Hitler", le chef d'orchestre de la "Solution finale à la question juive" est en route pour son dernier voyage...

(1) Klaus (né le 17 juin 1933) et Heider (né le 28 décembre 1934); Heydrich avait également deux filles, Silke (née le 9 avril 1939) et Marthe (née le 23 juillet 1942, soit six semaines après la mort de son père)

dimanche 24 août 2014

4188 - un rituel païen

... Château de Prague, 7 juin 1942

Dans la nuit du 5 au 6 juin, le cercueil d'Heydrich, hissé sur un affut d'artillerie, est transporté de l'Hôpital Bulovka au Château de Prague, et ce dans le cadre d'une procession aux flambeaux qui n'est pas sans évoquer les anciens rituels païens.

A l'image du Troisième Reich dans son ensemble...

Jusqu'au 7 juin, la dépouille du Reichsprotektor est ainsi offerte à la population pragoise, laquelle se presse pour l'apercevoir.

Certains sont là volontairement et par désir sincère de rendre un ultime hommage au défunt, et c'est particulièrement le cas des germanophones du Protectorat qui, dans les heures suivant l'attentat, n'ont d'ailleurs pas hésité à descendre dans les rues pour molester leurs concitoyens tchèques et piller leurs magasins.

Mais la plupart sont plutôt venus  par curiosité - ce n'est certes pas tous les jours qu'on peut assister à un pareil spectacle -  ou alors tout simplement par peur de possibles représailles, si les gardes SS et les agents de la Gestapo, qui sont là en masse, ne les voient pas se présenter puis s'incliner en personne devant le cercueil du défunt...

samedi 23 août 2014

4187 - un nouveau "protektor"

... pour Hitler, toute la question est de savoir qui pourra remplacer Heydrich comme Reichsprotektor de Bohème-Moravie... ou plus exactement comme Reichsprotektor "adjoint" puisque le Führer, fidèle à ses habitudes, refuse toujours de démettre officiellement Konstantin von Neurath, même si ce dernier, "pour des raisons de santé", n'exerce plus depuis longtemps le moindre pouvoir.

A priori, Karl Hermann Frank serait un choix logique. 

D'abord que comme Secrétaire d'État du Protectorat, il avait longtemps été pressenti pour ce poste avant de se le voir ravi par nul autre qu'Heydrich. Ensuite parce que, malgré sa frustration initiale, il était ensuite parvenu à travailler en bonne intelligence avec ce dernier.

Mais si Frank bénéficie du soutien d'Himmler, le Führer est en revanche bien plus réticent.

Il faut dire que Frank n'a guère aidé sa cause lorsque, début 1940, il a divorcé de sa très aryenne épouse pour se remarier deux mois plus tard avec Karola Blaschek, ravissante créature non seulement quinze ans plus jeune que lui mais surtout, et comme son nom l'indique, d'origine tchèque et née en Bohème-Moravie.

L'un dans l'autre, le Führer, va donc lui préférer Kurt Daluege, déjà nommé ad interim au lendemain de l'attentat contre Heydrich, et officiellement confirmé à ce poste le 5 juin, soit au lendemain de sa mort...

vendredi 22 août 2014

4186 - de gros défis

... Hôpital Bulovka, Prague, 5 juin 1942

Alors que la dépouille d'Heydrich, constamment veillée par des SS en armes, repose à l'Hôpital Bulovka dans l'attente de son transfert vers le Château de Prague, de gros défis attendent à présent les responsables nazis, à commencer bien sûr par Karl Hermann Frank, Kurt Daluege, Heinrich Himmler... et Hitler lui-même.

Les deux premiers doivent en effet, et par tous les moyens possibles, débusquer et châtier les meurtriers d'Heydrich car nul - et certainement pas le Führer ! - ne comprendrait que ceux-ci, dont on est pourtant sans nouvelle depuis dix jours, demeurent impunis.

Himmler, lui, doit rapidement pourvoir à la succession d'Heydrich à la tête du RSHA,... ce qui s'annonce tout sauf facile. 

D'abord parce que le RSHA - comme nous l'avons vu - est "la créature d'Heydrich" : c'est en effet lui qui, au fil des années, et en partant de rien, l'a développé, façonné et orienté au gré des circonstances mais aussi selon sa volonté et ses "intuitions" du moment. Le RSHA porte l'empreinte indélébile de son géniteur et, de fait, va lui survivre, quasiment inchangé, jusqu'à la fin de la guerre.

A cela s'ajoute la relation très particulière qu'entretenaient Himmler et Heydrich, qui se connaissaient, et s'appréciaient, depuis 1932 et avaient participé, pour ainsi dire main dans la main, à l'irrésistible ascension de la SS.

Parfois rivaux, les deux hommes étaient d'abord et avant tout complices, et cette complicité-là s'annonce impossible à retrouver...

jeudi 21 août 2014

4185 - la machine à rumeurs

... officiellement, et même si d'aucuns y voient plutôt la marque d'une embolie pulmonaireReinhard Heydrich est donc mort à 38 ans d'une septicémie causée par des fragments de crins de cheval projetés dans son corps en même temps que des éclats de grenade.

Mais comme toujours lorsqu'il s'agit de la disparition d'un personnage "hors norme", celle d'Heydrich paraît trop "naturelle" aux yeux de certains qui, dans les années à venir, vont créer puis alimenter diverses "théories du complot"

Une des plus connues attribue ainsi le décès du Reichsprotektor à des toxines botuliques contenues dans la grenade anti-tank modifiée - une type 73 britannique (1) - utilisée par Jan Kubiš.

L'empoisonnement au botulisme - un poison lent et difficile à déceler - pourrait sans conteste expliquer la mort d'Heydrich... n'était le fait que plusieurs passants, et Kubiš lui-même, ont également été touchés par des éclats de la même grenade sans développer le moindre symptôme d'empoisonnement, en sorte que cette théorie de la "grenade bactériologique" apparaît fort peu crédible.

Une autre théorie accrédite tout simplement le décès à un "empoisonnement post-attentat", c-à-d à l'action délibérée d'un médecin ou d'un infirmier SS agissant sur ordres d'un ennemi ou d'un rival d'Heydrich (2), lesquels - faut-il le souligner - étaient particulièrement nombreux !

Mais comme dans le cas de la "grenade bactériologique", aucune preuve formelle n'est jusqu'ici venue appuyer pareille hypothèse...

(1) elle aussi conçue dans l'urgence après la retraite de Dunkerque, la type 73 était un cylindre d'une trentaine de centimètres de long, ressemblant à s'y méprendre à une bouteille thermos. Celle utilisée par Kubiš avait été raccourcie de plusieurs centimètres afin d'être plus maniable et facile à dissimuler
(2) dans "Prague fatale", le romancier Philip Kerr évoque ainsi Himmler lui-même qui, craignant l’ascension de plus en plus irrésistible de son jeune subordonné, aurait décidé sa mort

mercredi 20 août 2014

4184 - septicémie

... Hôpital Bulovka, Prague, 4 juin 1942, 09h24

Les blessures contractées par Heydrich ne sont pas mortelles et l'intéressé, comme nous l'avons vu, est un sportif accompli, un homme jeune (38 ans), et un homme de constitution robuste.

De fait, dans les heures et les jours qui suivent l'opération, le Reichsprotektor de Bohème-Moravie semble se rétablir : le 31 mai, il est même en mesure de converser quelques minutes avec Heinrich Himmler, accouru à son chevet et à la suite de son médecin personnel - le docteur Karl Gebhardt - et des différents médecins et infirmières SS qui, depuis deux jours, ont entièrement remplacé tout le personnel tchèque.

Mais le 2 juin, son état de santé se détériore subitement. On diagnostique une infection à la cavité stomacale, la fièvre ne cesse de monter et Heydrich, bourré à la morphine en raison de douleurs atroces, sombre bientôt dans le coma.

Le 4 juin, à 09h24, il est officiellement déclaré mort des suites, affirme-t-on, d'une septicémie probablement contractée par des fragments de crins de cheval, arrachés au rembourrage des sièges de sa Mercedes par les éclats de la grenade maladroitement lancée par Kubiš une semaine auparavant.

L'explication est plausible en soi, mais le décès, que rien ne laissait présager, d'un personnage aussi puissant et controversé que le grand patron du RSHA va naturellement alimenter, et pour longtemps, la machine à rumeurs...

mardi 19 août 2014

4183 - "la disparition d'Heydrich serait désastreuse"

... Londres, 28 mai 1942 

A Prague, le sort ultime d'Heydrich, comme celui de de Kubiš et Gabčík, est toujours incertain, mais à Londres, Edvard Beneš, lui, a déjà toutes les raisons de se réjouir : même si le premier venait finalement à survivre à ses blessures, et les deux autres à tomber aux mains de la Gestapo, l'attentat n'en constituerait pas moins une spectaculaire réussite pour son gouvernement en exil.

L'euphorie pousse d'ailleurs le Président tchèque à adresser aussitôt ses félicitations à Alfréd Bartoš... soit à celui-là même qui, il y a quelques jours encore, le suppliait au nom de l'UVOD et de la Résistance tchèque d'annuler toute l'opération !

"Je constate", lui déclare-t-il par radio, "que vous et vos camarades êtes remplis de détermination. Pour moi, c'est la preuve que la nation tchèque toute entière est inébranlable dans sa position" [envers l'Occupant allemand]. 

"Je vous assure", ajoute-t-il, "que cela porte fruits", attendu qu'à Londres, et parmi les Alliés, "Les événements ont eu un effet incroyable" (1)

De fait, un rapport du renseignement militaire britannique relève que "si Heydrich ne devait pas survivre à l'attentat, ou s'il en restait marqué un long moment, cela constituerait une perte sérieuse pour le régime nazi" puisque, conclut-il, "on peut raisonnablement affirmer qu'Heydrich est avec Himmler l'âme de toute la machine de Terreur" (2)

Une opinion que partage d'ailleurs Joseph Goebbels qui, le 2 juin, souligne dans son journal que "la disparition d'Heydrich serait désastreuse"

(1) et (2) Gerwarth, op cit, page 13

lundi 18 août 2014

4182 - dix millions de couronnes

... à la fin de la réunion, toutefois, Frank réussit à calmer quelque peu Hitler qui, pour l'heure, renonce à son idée d'exécuter "dix mille Tchèques" séance tenante, mais exige en contre-partie que les auteurs de l'attentat contre Heydrich soient rapidement retrouvés et châtiés

Et pour Frank, c'est bien là le problème...

Dès l'annonce de l'attentat contre son supérieur, Frank a certes proclamé la Loi martiale et un couvre-feu de 21h00 à 06h00 dans tout le Protectorat, fait boucler Prague, imposé la fermeture de tous les cinémas, théâtres, restaurants et bars de la capitale, et promis la mort non seulement à ceux ou celles qui porteraient assistance aux fugitifs, mais aussi à leur famille toute entière !

Mais malgré cela, malgré l'arrivée de milliers de policiers et de soldats supplémentaires, malgré la nomination du chef de l'Ordnungspolizei (1) Kurt Daluege (2) au titre de Reichsprotektor par intérim, malgré la fouille de plus de trente mille (!) maisons et bâtiments divers, et malgré l'annonce d'une récompense record de dix millions de couronnes pour tout renseignement menant à la capture des dits fugitifs, ceux-ci demeurent introuvables !

Aidés par plusieurs familles pragoises, et en particulier par les Moravec - nous y reviendrons - Kubiš et Gabčík errent en effet de cache en cache jusqu'à se retrouver rue Resslova, dans l'église orthodoxe Saint Cyrille et Méthode, où ils vont progressivement être rejoints par les quelques rescapés des différentes missions de parachutage des mois précédents, eux aussi contraints d'abandonner leurs caches respectives menacées par les recherches allemandes...

(1) l'Ordnungspolizei, ou ORPO, qui comprend notamment la gendarmerie et la police de la route, est la police "classique" du Troisième Reich
(2) Condamné à mort pour crimes de guerre par un tribunal tchécoslovaque, Kurt Daluege fut pendu à Prague en octobre 1946.

dimanche 17 août 2014

4181 - "Les Tchèques doivent comprendre que s'ils abattent un homme, celui-ci sera aussitôt remplacé par quelqu'un d'encore pire"

... Berlin, 28 mai 1942

"Des nouvelles alarmantes nous arrivent de Prague", écrit le Ministre de la Propagande Joseph Goebbels le 28 mai. "Même s'il [Heydrich] n'est pour l'heure pas en danger de mort, sa condition n'en est pas moins préoccupante. (...) Nous devons tous bien comprendre que cette attaque pourrait créer un précédant si nous n'y réagissons pas de la manière la plus brutale"

Mais c'est bien de cette manière-là que le Führer entend réagir ! Dès l'annonce de l'attentat, Hitler a en effet ordonné au principal adjoint d'Heydrich, Karl Hermann Frank, d'exécuter pas moins de 10 000 Tchèques en représailles !

Consterné, Frank a aussitôt sauté dans le premier avion pour Berlin, non par souci du sort des civils tchèques mais tout bonnement... par crainte des effets d'une pareille exécution de masse sur la production industrielle du Protectorat !

Reçu par Hitler peu après, Frank plaide donc l'argument d'une rationalité économique que le Führer rechigne néanmoins à accepter.

"Hitler, cependant, était furieux et menaça d'envoyer à Prague le général SS Erich Von dem Bach-Zelewski, responsable de la lutte anti-partisans sur le Front de l'Est (1). Bach-Zelewski, insista Hitler, serait heureux de répandre une mer de sang sans le moindre scrupule. "Les Tchèques doivent comprendre que s'ils abattent un homme, celui-ci sera aussitôt remplacé par quelqu'un d'encore pire"" (2)

(1) malgré ses innombrables crimes de guerre à l'Est, et son rôle déterminant dans l'écrasement de l'insurrection de Varsovie en 1944, Bach-Zelewski ne fut condamné que pour les meurtres de plusieurs dizaines d'opposants politiques allemands dans les années 1930. Il mourut à la prison de Munich en mars 1972.
(2) Gerwarth, op cit, page 11

samedi 16 août 2014

4180 - opéré, mais par qui ?

... Hôpital Bulovka, Prague, 27 mai 1942, 12h00

En cette fin de matinée du 27 mai 1942, Reinhard Heydrich, grand patron du RSHA et Reichsprotektor de Bohème-Moravie, git sur le sol, incapable de se relever.

Petit à petit, un attroupement se forme autour de lui. 

Est-ce la curiosité ? la crainte qu'il continue d'inspirer ? ou alors la simple compassion à l'égard d'un être humain gravement blessé ? personne parmi la foule ne fait en tout cas preuve d'hostilité à son endroit.

Mieux : après quelques minutes, des badauds réussissent à le hisser, couché sur le ventre, à l'arrière d'un camion de boulangerie, lequel le dépose à l'Hôpital Bulovka, distant de quelques centaines de mètres, où l'on diagnostique rapidement une côte cassée mais surtout une rupture du diaphragme et des dégâts à la rate et aux poumons, causés par les nombreux éclats de la grenade lancée par Kubiš.

Une intervention chirurgicale d'urgence est nécessaire mais Heydrich, qui est toujours conscient et craint d'être assassiné par les médecins tchèques, exige de faire venir des spécialistes de Berlin !

Vers midi, le Reichsprotektor accepte enfin un compromis : être immédiatement opéré par des Tchèques placés sous la direction du docteur Josef Hohlbaum, un germanophone des Sudètes qui est également le directeur de la Faculté de Médecine de l'Univerzita Karlova de Prague.

Prévenus de l'attentat, les docteurs Karl Gebhardt et Theodor Morell sont déjà en route depuis Berlin.

Ces derniers sont respectivement le médecin personnel d'Himmler et d'Hitler : deux hommes bien décidés à orchestrer sans plus attendre de sanglantes représailles...

vendredi 15 août 2014

4179 - "Attrapez ce salopard !"

... l'arme au poing, encore sonnés par le choc de l'explosion, Heydrich et Klein s'extirpent tant bien que mal de la carcasse de la Mercedes.

Chancelant, Klein tente de se précipiter vers Kubiš mais ce dernier, profitant de la confusion de l'Allemand, enfourche aussitôt sa bicyclette et, sans égard pour les rigoles de sang qui lui coulent du visage, détale à grand coups de pédales.

Heydrich, de son côté, a repéré Gabčík qui, son Sten inutile toujours en mains, s'est réfugié derrière un bien illusoire poteau téléphonique.

Mais alors que le Tchèque croit sa dernière heure venue, le Reichsprotektor s'effondre soudain sur la chaussée, et ne peut se redresser !

Sans demander son reste, et surtout sans réaliser qu'il dispose également d'un Colt avec lequel il pourrait très facilement achever Heydrich, Gabčík laisse tomber son Sten et se met à courir alors que Klein, qui n'a eu d'autre choix que de laisser filer Kubiš, revient en hâte sur ses pas et cherche à venir en aide à Heydrich qui, à l'évidence, est sérieusement blessé.

"Attrapez ce salopard !" tonne le Reichsprotektor.

Klein s'exécute et se lance à la poursuite de Gabčík qui, quelques rues plus loin, se rappelle enfin l'existence de son Colt : devant la vitrine d'une boucherie, il fait feu à deux reprises, touchant l'Allemand à la jambe et mettant ainsi un terme définitif à la poursuite,... mais aussi à un attentat où rien ne s'est déroulé comme prévu !

Un attentat au résultat encore fort incertain...

jeudi 14 août 2014

4178 - l'indestructible

... après des mois de préparation et d'angoisse, l'impensable vient de se produire: le Sten de Gabčík s'est enrayé avant-même d'avoir tiré une seule balle !


Comme si l'Univers tout entier venait soudainement de s'effondrer devant lui, Gabčík reste figé, au beau milieu de la route...

Dans la Mercedes, Heydrich et Klein réalisent la situation : la prudence, et la simple logique militaire, imposent maintenant d'écraser l'accélérateur afin de se soustraire au plus vite à la menace.

Mais Heydrich est Heydrich, et il ordonne donc à son chauffeur d'écraser... les freins !

Posément, un peu comme s'il se croyait à un concours d'escrime, le Reichsprotektor se dresse dans la Mercedes à présent immobile, dégaine son pistolet et vise le malheureux Gabčík, toujours incapable de la moindre réaction.

Mais au moment où Heydrich s'apprête à son tour à presser la détente, Kubiš, jusque là tapis dans l'ombre et de l'autre côté de la rue, dégoupille une des grenades qu'il transporte avec lui et la lance vers la voiture.

Hélas, une fois de plus, les choses ne se passent pas du tout comme prévu : au lieu de tomber à l'intérieur du cabriolet, la grenade, mal lancée, rebondit contre le pneu arrière droit, puis explose le long du flanc, projetant des éclats dans toutes les directions... y compris au visage du pauvre Kubiš !

Après quelques secondes de flottement, Klein et Heydrich - décidément indestructible - s'extraient de la carcasse de la Mercedes, bien décidés à châtier les coupables...

mercredi 13 août 2014

4177 - l'Instant X

... Prague-Liben, 27 mai 1942, 10h30

En milieu de matinée, Kubiš et Gabčík se sont donc positionnés de part et d'autre de cette courbe en épingle à cheveux repérée trois mois auparavant. Une centaine de mètres plus loin, un troisième homme, Josef Valčík, leur sert de guetteur et, au moyen d'un miroir de poche, doit les avertir de l'arrivée de la Mercedes d'Heydrich.

Les trois hommes sont confiants mais aussi terriblement anxieux : après des mois de préparation, d'attente et d'angoisse, cette matinée du 27 mai 1942 constitue une des dernières occasions - et probablement la dernière  - de passer à l'acte.

Un éclair de lumière.

Lentement, calmement, Gabčík traverse la rue avec, sous son bras, un imperméable quelque peu incongru par cette chaleur mais qui vise en fait à dissimuler aux regards un pistolet-mitrailleur Sten.

Conçu dans l'urgence après la Retraite de Dunkerque et l'obligation de ré-équiper en très peu de temps des centaines de milliers de combattants, le Sten, au chargeur latéral si caractéristique,  est une arme simple, maniable, extrêmement légère, et facilement démontable, qui s'est vite imposée comme l'arme de prédilection des commandos britanniques et de tous les mouvements de résistance européens. 

Quasiment au pas, la 320 d'Heydrich - dont les deux occupants ne se doutent de rien - n'est maintenant plus qu'à quelques mètres : à cette distance, le Reichsprotektor n'a aucune chance d'échapper à la rafale de balles de 9mm.

Gabčík tend son arme et, prenant à peine le temps de viser, presse la détente

Rien ne se passe...

mardi 12 août 2014

4176 - un si beau 27 mai 1942...

... Panenské Brezany, 27 mai 1942, 09h00

En son manoir de Panenské Brezany, et en cette superbe matinée du 27 mai 1942, Reinhard Heydrich savoure les joies simples de la vie de famille.

La veille, en compagnie de Lina, il a assisté à un très protocolaire concert de musique de chambre au célèbre Palais Wallenstein (1), et dans quelques heures, après une brève visite à son bureau, il s'envolera pour la "Tanière du Loup", soit le "Wolfschantze" de Rastenburg, un hideux complexe de baraquements et de bunkers tapis au creux d'une forêt de Prusse orientale (2), où Hitler, sans doute par nostalgie des tranchées de la 1ère Guerre mondiale - "le moment le plus heureux de sa vie" comme il se plait sans cesse à le rappeler - a établi son quartier-général pour la durée du présent conflit.

Mais pour l'heure, le grand-patron du RSHA et Reichsprotektor de Bohème-Moravie fait la grasse matinée et, en père-modèle, se contente de jouer avec ses enfants, loin des réalités policières et de son rôle de "bourreau d'Hitler".

Bientôt, après un dernier au-revoir à Lina, il va monter dans la plus petite de ses Mercedes découvrables, la 320 immatriculée SS-4 - à quoi bon la discrétion quand, depuis des années, la Propagande vous présente comme un surhomme - conduite par son chauffeur habituel, le SS-Oberscharführer (adjudant) Johannes Klein

Sans la moindre escorte, comme c'est la coutume, et sur des routes quasiment désertes, les deux hommes vont ensuite tranquillement prendre la direction du Château de Prague

Ils n'y arriveront jamais...

(1) construit par Albert de Wallenstein (également connu sous le nom d'Albrecht von Waldstein) au début du 17ème siècle, ce palais est un des nombreux chef d'oeuvres praguois, qui abrite aujourd'hui le sénat tchèque
(2) le Wolfschantze est surtout connu aujourd'hui pour avoir été le théâtre de l'attentat raté du 20 juillet 1944 contre Hitler

lundi 11 août 2014

4175 - le "paradoxe Heydrich"

... en décembre 1941, alors qu'en compagnie d'Heydrich il arpentait les rues de Prague dans le but de "germaniser" un jour la capitale tchèque, Albert Speer avait déjà constaté l'incroyable légèreté  avec laquelle le Reichsprotektor traitait sa propre sécurité dans un pays pourtant hostile puisque envahi et occupé militairement par l'Allemagne depuis 1939.

Mais plus encore, Speer avait été frappé par le "paradoxe Heydrich", par cet homme qui, à Berlin, au coeur-même du Troisième Reich, soit à l'endroit du monde où il était assurément le moins susceptible d'être victime d'un attentat, multipliait les mesures de sécurité et avait été jusqu'à faire installer dans toutes les pièces de sa résidence - y compris dans sa salle de bain ! - un système d'alarme directement relié aux commissariats des alentours.

A Berlin, avait également noté Speer, les voitures dans lesquelles circulait Heydrich étaient toutes munies "de plaques minéralogiques amovibles (1), de pistolets en face de chaque siège, et de pistolets-mitrailleurs pour ceux assis aux places arrières", alors qu'à Prague, en revanche, "ce même Heydrich circulait en contravention avec les règles qu'il avait lui-même édicté pour la protection des cadres de l'État et du Parti" (1)

Mais plutôt que d'"inconscience" ou de  "désinvolture" dans le chef d'Heydrich, il convient de parler ici encore de "considérations politiques" : en tant que Reichsprotektor, en tant que SS qui a toujours voulu "montrer l'exemple", en tant qu'incarnation ultime du "surhomme aryen" auquel il a lui-même fini par s'identifier, et peut-être aussi en tant qu'éternel adolescent romantique, Heydrich "refusait catégoriquement toute escorte au motif que celle-ci porterait atteinte au prestige allemand et donnerait l'impression qu'il craignait les Tchèques". Il considérait qu'"aussi longtemps qu'il conserverait l'ascendant psychologique, il ne serait pas attaqué - une erreur de jugement fatale comme on allait le voir" (3)

(1) à Prague, Heydrich disposait d'au moins deux Mercedes découvrables, une grosse 770 immatriculée SS-3, et une à peine moins discrète 320 immatriculée... SS-4 !
(2) cité par Gerwarth, op cit, page 276
(3) ibid, page 276

dimanche 10 août 2014

4174 - elle court, elle court, la rumeur...

... dès sa plus tendre enfance, Reinhard Heydrich s'est littéralement nourri de romans policiers et d'espionnage.

Depuis l'été 1931, soit depuis plus de dix ans, il ne vit plus que dans l'optique d'identifier, traquer et éliminer tous les "ennemis du Reich", et de déjouer tous les "complots" - réels ou imaginaires - ourdis contre l'Allemagne nazie.

En tant que chef suprême de tous les services de Police et de Sécurité, il sait mieux que quiconque qu'à travers toute l'Europe occupée, des soldats, des officiers, et même de hauts dignitaires allemands aussi haut placés qu'Heinrich Himmler, sont régulièrement la cible d'attentats "terroristes"; et en tant que "bourreau d'Hitler", il se sait par ailleurs plus haï que n'importe lequel d'entre eux.

A Prague, où il sévit maintenant depuis plusieurs mois, il a d'autre part eu vent, et à plusieurs reprises, de rumeurs d'attentat directement dirigés contre lui-même.

En mars 1942, à la gare de Varsovie, des agents de la Gestapo ont ainsi intercepté un prétendu "musicien" qui, dans ses bagages, dissimulait un fusil télescopique. Arrêté, ce dernier a finalement avoué être un "agent soviétique" en route vers la Bohème-Moravie dans le but d'y assassiner Heydrich...

Peut-être l'homme a-t-il tout inventé sous la torture, mais cette histoire est en tout cas bien connue du Reichsprotektor, tout comme comme ce rapport du SD datant du 18 avril et faisant état de parachutistes venus dans le Protectorat pour y provoquer des grèves, commettre des actes de sabotages et même... un attentat contre sa personne !

Pourtant, curieusement, rien de tout cela ne semble troubler Heydrich qui, "au grand déplaisir de son épouse et d'Himmler continue de circuler à travers Prague dans une voiture découverte et sans escorte de sécurité" (1)

(1) Gerwarth, op cit, page 276

samedi 9 août 2014

4173 - "Les récents messages de "Silver A" nous indiquent que la population tchéque se fie de plus en plus aux Russes"

... mais côté britannique, ce sont aussi des "considérations de politique étrangère", et non pas un quelconque "impératif militaire", qui justifient l'assassinat de Reinhard Heydrich !

"Les récents messages de "Silver A" nous indiquent que la population tchèque se fie de plus en plus aux Russes" souligne ainsi un rapport de situation britannique, ce qui, si rien n'est fait pour corriger la situation, laisse donc entrevoir la perspective d'une Europe certes libérée du nazisme mais désormais sinon occupée, du moins largement influencée par l'URSS.

D'un autre côté, souligne le même rapport, la Résistance tchèque n'assume toujours pas sa juste part d'effort, et "est assurément capable d'en faire bien davantage"

Et ce même rapport de conclure "qu'il apparaît maintenant essentiel, tant du point de vue politique que militaire, de prendre des mesures drastiques pour raviver la confiance dans l'effort de guerre de la Grande-Bretagne en général, et dans celui du SOE en particulier, si nous voulons conserver l'initiative dans la conduite des opérations futures" (1)

A Prague, où ils se cachent depuis maintenant cinq mois, Kubiš et Gabčík n'ont cependant que faire des "considérations de politique étrangère" des uns et des autres : puisqu'ils ont reçu, de la bouche-même du Président Beneš l'ordre d'assassiner Heydrich, ils vont assassiner Heydrich; et puisqu'ils ont appris, par une taupe qui travaille au Château de Prague, que le Reichsprotektor doit quitter le pays le 27 mai "pour une rencontre avec Hitler", et qu'il restera ensuite probablement absent "pour plusieurs semaines", ils l'assassineront donc au matin du 27 mai, sur la route et à l'endroit - une courbe en épingle à cheveux proche d'un arrêt de tram - repéré trois mois auparavant...

(1) Gerwarth, op cit

vendredi 8 août 2014

4172 - prodigue du sang... des autres

... Reinhard Heydrich est un général de la SS, le grand-patron de toutes les forces policières et répressives d'Allemagne, le chef d'orchestre de la "Solution finale à la Question juive", le Reichsprotektor - autrement dit le bourreau - de Bohème-Moravie, ou encore le numéro trois ou quatre du régime nazi, ce qui, à chacun de ces points de vue, fait donc de lui un "objectif militaire" de premier plan.

Pourtant, ce ne sont pas ces raisons mais bien des "considérations de politique étrangère" - c-à-d la volonté de plaire aux Britanniques et de conserver une place honorable au sein des Nations alliées en lutte contre le nazisme - qui, pour Beneš, pour Moravec, et pour tout le gouvernement tchèque en exil, justifient de l'assassiner !

Même s'il devine le prix que vont devoir payer ses compatriotes restés au pays, Beneš n'enverra donc jamais l'ordre d'annulation que réclament pourtant les responsables locaux de la Résistance tchèque, une décision qui, analysée froidement, et a fortiori analysée des décennies après la fin d'un conflit mondial ayant causé la mort de plus de 50 millions de personnes, peut sans doute être considérée comme légitime.

Mais d'un autre côté, on ne peut pas non plus s'empêcher d'observer que ni Beneš, ni Moravec, ni aucun autre responsable tchèque exilé à Londres ne court le moindre risque de se voir arrêté puis torturé et finalement exécuté par la Gestapo, et qu'en cette affaire, chacun se montre donc fort prodigue du sang... des autres.

jeudi 7 août 2014

4171 - "Nous vous demandons par conséquent de faire passer par "Silver A" l'ordre annulant cet assassinat"

... Mai 1942

Début mai, bien conscients des conséquences que l'assassinat d'Heydrich ne manquerait pas de provoquer parmi la population civile de Bohème-Moravie, les responsables locaux de l'UVOD multiplient alors les appels à Londres, suppliant le Président Beneš de renoncer à pareille idée

"A en juger par leurs préparatifs [ceux de Kubiš et Gabčík] et par l'endroit où ceux-ci se déroulent, nous supposons, en dépit du silence qu'ils maintiennent, qu'ils planifient l'assassinat de "H". 

Cet assassinat ne profiterait en rien aux Alliés et pourrait au contraire avoir des conséquences incalculables sur la Nation. Il mettrait non seulement en danger la vie de nos otages et prisonniers politiques, mais coûterait également des milliers d'autres vies (...) en plus de balayer les derniers vestiges de notre organisation. 

En conséquence, il nous serait alors impossible de faire encore quoique ce soit d'utile pour les Alliés. Nous vous demandons par conséquent de faire passer par "Silver A" l'ordre annulant cet assassinat". Tout délai serait dangereux. Envoyez les instructions immédiatement.

Au cas où un assassinat serait malgré tout jugé désirable pour des considérations de politique étrangère, qu'il soit dirigé contre quelqu'un d'autre" (1)

(1) Gerwarth, op cit, page 8

mercredi 6 août 2014

4170 - "Les services de sécurité tchèques et allemands disposent déja de tant d'informations sur nous que la répétition de ces opérations ne serait qu'un gaspillage d'hommes et d'équipements"

... pour compenser les pertes, et notamment celle du dernier des "Trois Rois", près d'une vingtaine de nouveaux agents sont parachutés en Bohème-Moravie de décembre 1941 à mai 1942... sans autre résultat que de les faire tomber les uns après les autres aux mains des Allemands, et en compagnie de tous ceux qui leur ont porté assistance !  

"Surpris par l'omniprésence de l'appareil policier nazi, et ne détenant que de faux documents de piètre qualité, beaucoup paniquèrent tout simplement. A une occasion, un des parachutistes écrivit à sa mère pour lui dire qu'il était vivant en bonne santé. Toute excitée, la mère en parla à une connaissance, qui rapporta la nouvelle à la Gestapo. Le père et deux frères du parachutiste furent pris en otage et menacés de mort jusqu'à ce que le parachutiste se constitue lui-même prisonnier.

En mai, Bartoš exigea l'arrêt des parachutages. "Vous nous envoyez des gens dont nous ne savons que faire", dit-il à Londres. "Ils représentent un boulet insupportable pour le réseau dans les circonstances critiques du moment. Les services de sécurité tchèques et allemands disposent déjà de tant d'informations sur nous que la répétition de ces opérations ne serait qu'un gaspillage d'hommes et d'équipements" (1)

Mais à Londres, Beneš et Moravec, toujours aussi désireux de plaire à leur allié britannique, font la sourde oreille et continuent d'en envoyer d'autres !

Et le pire est encore à venir  car après des semaines de doutes et d'interrogations, Bartoš, horrifié, finit par découvrir la véritable nature de la mission de Kubiš et Gabčík à Prague...

(1) Gerwarth, op cit. page 8

mardi 5 août 2014

4169 - le dernier des Trois Rois

... Prague, 21 mars 1942

Un signe, d'ailleurs, ne trompe pas : le 21 mars 1942, dans une rue de PragueVáclav Morávek, le dernier des "Trois Rois", est finalement abattu par les hommes de la Gestapo.

Les "Trois Rois", ces trois résistants tchèques quasi-légendaires qui, depuis l'été de 1939, hantaient les cauchemars des hommes d'Heydrich !

En janvier 1941, en plein cœur de Berlin,  ils avaient déjà réussi un coup d'éclats, en faisant sauter une bombe au Reichsluftfahrtministerium, le Ministère de l'Air d'Hermann Goering. Mais en février, à la gare de l'Anhalt, ils avaient fait mieux encore, en commettant cette fois un attentat visant rien moins qu'Heinrich Himmler, un attentat auquel le Reichsführer-SS n'avait d'ailleurs échappé qu'en raison du retard pris par son train spécial !

Si Josef Balabán avait été capturé le 22 avril suivant (1), et Josef Mašín le 13 mai (2), Václav Morávek, aidé autant par la chance que par un culot monstre, avait jusqu'ici réussi à déjouer toutes les poursuites, et même à multiplier les provocations gratuites : à plusieurs reprises, cet ancien officier de l'armée tchécoslovaque avait ainsi personnellement livré des tracts clandestins... au siège praguois de la Gestapo (!), et avait même été jusqu'à dîner, incognito, en tête à tête avec Oskar Fleischer,... c-à-d avec le responsable de l'unité spéciale chargée de l'arrêter !

Pour Heydrich, et après des mois de frustrations, la mort de Morávek constitue naturellement un triomphe supplémentaire dans sa lutte contre la résistance tchèque. 

Pour le Président  Beneš, en revanche, c'est un revers de plus,... et un revers qui ne peut que l'inciter à tenter de redorer son blason par tous les moyens possibles. 

(1) exécuté à la prison de Ruzyne le 3 octobre 1941
(2) exécuté le 30 juin 1942 dans le cadre des représailles consécutives à la mort de Reinhard Heydrich

lundi 4 août 2014

4168 - "derrière chaque personne politiquement active, on trouve en permanence un agent de la Gestapo"

... lentement mais sûrement, l'Opération Anthropoïd commence donc à porter fruits.

On ne peut hélas en dire autant de "Silver A" et "Silver B", lancées quelques minutes après Anthropoïd, et visant - comme nous l'avons vu - à restaurer les communications entre Prague et Londres.

L'un après l'autre, les parachutistes tchèques sont en effet capturés par les hommes de la Gestapo ou, une fois formellement identifiés par ceux-ci, se constituent eux-mêmes prisonniers afin d'épargner l'arrestation et la torture à leurs proches.

Au final, un seul d'entre eux, Alfréd Bartoš, parvient - provisoirement (1) - à rétablir le contact entre le gouvernement tchèque en exil et le commandement local de l'UVOD qui, rappelons-le, ignore toujours - à l'instar de Bartoš lui-même - la véritable mission de Kubiš et Gabčík !

Dans ses quelques rapports expédiés à Londres, Bartoš confirme en tout cas que la résistance dans le Protectorat est devenue "exceptionnellement difficile" attendu que "derrière chaque personne politiquement active, on trouve en permanence un agent de la Gestapo" (2)

Aussi déprimants soient-ils, les dits rapports ne changent pourtant rien à la volonté d'Edvard Beneš et de František Moravec de poursuivre dans la même voie,... en continuant à expédier en Bohème-Moravie des missions qu'ils savent par avance vouées à l'échec !

(1) traqué par la Gestapo, Alfréd Bartoš se suicidera dans une ruelle de Parduvice le 21 juin 1942
(2) Gerwarth, op cit, page, 8

dimanche 3 août 2014

4167 - une si longue attente...

... Prague, janvier 1942

Rendus à Prague, Kubiš et Gabčík vont maintenant passer plusieurs mois de cache en cache, à étudier les allées et venues d'Heydrich, à réfléchir au meilleur moyen de l'assassiner mais aussi, il faut bien le dire,... à tuer le temps comme ils le peuvent, en se promenant ici et là et en multipliant les aventures sentimentales au mépris des règles les plus élémentaires du secret et de la sécurité.

Kubiš et Gabčík sont jeunes, sous la menace constante d'une dénonciation ou d'une arrestation, et la chair, dit-on, est faible, surtout dans la grisaille de cette guerre qui s'éternise, mais cette insouciance se payera terriblement cher, plus tard, lorsque les agents de la Gestapo, après les inévitables tâtonnements initiaux, se mettront à ramasser pour ainsi dire à la pelle les indices négligeamment abandonnés, tels autant de cailloux blancs, par les deux hommes, et arrêteront ainsi tous ceux, hommes et femmes, qui auront un jour croisé leur chemin. ..

Dans l'immédiat du moins, les recherches de Kubiš et Gabčík leur permettent d'identifier, début février, un endroit en principe idéal pour leur attentat : entre son manoir de Panenské Brezany et son bureau du Château de Prague, la route quotidiennement empruntée par le Reichsprotektor traverse en effet les faubourgs de la capitale, et en particulier une courbe en épingle à cheveux, où sa Mercedes décapotable est contrainte de ralentir fortement, ce qui devrait leur permettre de s'en approcher tranquillement à pieds puis d'ouvrir le feu à bout portant. 

Mieux encore : la dite courbe est située à proximité immédiate d'un arrêt de tram, endroit en tout point idéal pour attendre et observer le traffic sans éveiller la suspicion...

samedi 2 août 2014

4166 - le grand saut

... Bohème-Moravie, 29 décembre 1941, 02h20

Parti de Tangmere dans la nuit du 28 décembre, le quadrimoteur Halifax arrive au-dessus de la Bohème-Motavie vers 02h00.

Mais comme souvent, rien ne se déroule comme prévu : le plafond bas, et une épaisse couche de neige au sol, empêchent le pilote de distinguer la zone de largage près de Pilzen, en sorte que c'est au-dessus du petit village de Nehvizdy, à une trentaine de kilomètres à l'est de Prague, que Kubiš et Gabčík se parachutent finalement, peu après 02h20

Un malheur ne venant jamais seul, Gabčík, contraint de sauter à moins de 200 mètres du sol, se blesse sérieusement à la cheville lors de l'atterrissage !

Dans ce champ couvert de neige, à des dizaines de kms du point de largage prévu et du groupe de résistants tchéques supposé les attendre, les deux parachutistes sont en fâcheuse posture, et d'autant plus que dans cette nuit paisible, le grondement des moteurs du gros bombardier n'est certes pas passé inaperçu.

Heureusement, la Providence veille : le meulier du village, Bretislav Baumann, est un membre de la Résistance. Prévenu par un garde-chasse sympathisant et qui a découvert les parachutes dans la neige, ce dernier réussit à retrouver les deux hommes, puis à les confier aux bons soins de camarades praguois

Un beau geste qui sera bien mal récompensé : après la mort d'Heydrich, Baumann et son épouse seront en effet arrêtés par la Gestapo, puis assassinés au camp de concentration de Mauthausen.

Il y en aura hélas bien d'autres...

vendredi 1 août 2014

4165 - une mission-suicide

... base aérienne de Tangmere, 28 décembre 1941

Après plusieurs semaines d'un entraînement intensif dont ils ignorent la finalité exacte, Jan Kubiš et Jozef Gabčík sont enfin informés de leur future mission : assassiner le Reichsprotektor de Bohème-Moravie et grand patron du RSHA, Reinhard Heydrich !

Pour ces deux hommes, contraints de fuir leur pays après l'invasion allemande, une telle mission est assurément exaltante, mais c'est aussi - et ils en sont parfaitement conscients - une véritable mission-suicide, car à supposer-même qu'ils réussissent à arriver à Prague, et à assassiner Heydrich, Kubiš et Gabčík savent qu'ils n'auront ensuite d'autre choix que de se terrer dans un coin jusqu'à la fin de la guerre et la libération du territoire par les troupes alliées.

Rien n'a en effet été prévu pour leur exfiltration, et si l'on considère que les hommes de la Gestapo ne manqueront pas de remuer Ciel et Terre pour retrouver les coupables et venger leur chef, autant dire que leur espoir de survie est proche du néant !

Dans la nuit du 28 décembre 1941, après avoir rédigé leur testament, Kubiš et Gabčík embarquent finalement sur l'aérodrome de Tangmere à bord d'un bombardier Halifax en compagnie de deux autres équipes ("Silver A" et "Silver B") de parachutistes tchèques (sept hommes au total) quant à elles chargées de rétablir - ou du moins d'essayer de rétablir ! - les communications radio entre Londres et une résistance tchèque décimée par la police allemande...